Le narcissisme sur les réseaux sociaux : un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur à l’heure où les likes et les followers sont devenus la nouvelle monnaie d’échange de l’estime de soi. Parmi les manifestations les plus marquantes de cette tendance, le « syndrome du personnage principal » fait figure de nouveau mal du siècle numérique. Une quête effrénée de reconnaissance et de validation qui pousse certains utilisateurs à se mettre en scène comme les héros de leur propre vie, quitte à empiéter sur celle des autres. Mais quels sont les ressorts de ce besoin insatiable d’être au centre des attentions ? Et quelles en sont les conséquences sur nos interactions sociales et notre rapport au réel ? Décryptage d’un phénomène aussi fascinant qu’inquiétant.

 

Origines et manifestations du syndrome du personnage principal

L’émergence du « syndrome du personnage principal » est intimement liée à l’essor des réseaux sociaux ces dernières années. Apparu pour la première fois sur TikTok en 2020, le terme fait référence à cette tendance de certains utilisateurs à se percevoir comme le personnage central d’un grand film ou d’une série, dont ils seraient les héros. Une vision égocentrée qui se traduit par des mises en scène grandiloquentes de leur quotidien, comme pour sublimer la moindre de leurs actions. Photoshoots improvisés au milieu d’une rue bondée, chorégraphies improbables en plein supermarché, monologues face caméra dans un métro… Les exemples ne manquent pas de ces comportements qui laissent supposer que le monde n’est qu’un vaste décor à leur gloire personnelle.

Derrière cette quête frénétique de lumière se cache souvent un besoin viscéral de reconnaissance et de validation. À grand renfort de filtres et d’effets, il s’agit de façonner une image idéalisée de soi pour récolter un maximum de likes et de commentaires positifs. Une course effrénée aux « clout » (l’influence) qui peut vite virer à l’obsession, voire à l’addiction pure et simple. D’autant que les algorithmes des plateformes, en mettant en avant les contenus suscitant le plus d’engagements, encouragent cette surenchère perpétuelle de mise en scène de soi. Un cercle vicieux qui risque bien de faire perdre tout sens de la mesure – et de la réalité – aux plus fragiles. De quoi fragiliser la santé mentale.

 

Impact sur les interactions sociales et la vie réelle

Car si cette course à l’être au centre des attentions peut sembler anodine de prime abord, ses conséquences sur la vie réelle sont loin d’être négligeables. À commencer par l’impact sur ceux qui ont le malheur de se retrouver dans le champ de la caméra de ces influenceurs en herbe. Passants dérangés dans leur routine, clients importunés pendant leurs courses, usagers des transports en commun soudainement pris à partie… Nombreux sont ceux à voir leur quotidien perturbé par ces comportements intrusifs, quand ils ne virent pas au conflit ouvert.

Car pour parvenir à leurs fins, certains n’hésitent pas à enfreindre allègrement les règles de vie en société. Comme cette influenceuse qui avait bloqué l’accès à un rayonnage de supermarché pendant de longues minutes pour réaliser sa vidéo, suscitant l’ire des clients. Ou encore ce couple qui avait fait un malaise vagal à un homme âgé en surgissant brusquement devant lui pour une « blague ». Des dérapages qui se multiplient, nourris par la course au buzz et le sentiment d’impunité de ceux qui se croient tout permis au nom de leur statut autoproclamé de « personnage principal ».

Face à ces dérives, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les excès de ce narcissisme sur les réseaux sociaux. À l’image de cette pétition lancée par des usagers du métro new-yorkais pour interdire les photoshoots sauvages sur les quais, ou encore des appels au boycott de certains influenceurs peu scrupuleux des règles élémentaires de respect. Autant de signaux d’un ras-le-bol grandissant face à ces comportements toxiques, qui en disent long sur l’impact délétère de ce culte du moi à tout prix sur nos liens sociaux.

 

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Répercussions psychologiques et sociétales

Mais au-delà de ces frictions sociales, c’est sur la santé mentale des individus que le narcissisme sur les réseaux sociaux risque bien d’avoir l’impact le plus délétère. En encourageant une quête effrénée de validation externe, cette culture du « moi » triomphant renforce les tendances narcissiques chez les plus vulnérables. Une spirale malsaine où l’estime de soi finit par se confondre avec le nombre de likes ou de followers, au détriment de la construction d’une véritable identité.

Un terrain propice au développement de troubles psychologiques, comme le soulignent de plus en plus d’experts. Car pour maintenir cette image idéalisée, beaucoup finissent par s’enfermer dans une prison mentale faite d’anxiété de performance et de peur du rejet. Quand ils ne sombrent pas purement et simplement dans la dépression face à l’impossibilité de se conformer à ces standards inatteignables. Des mécanismes qui ne sont pas sans rappeler ceux du trouble de la personnalité narcissique, où le besoin pathologique d’admiration cache souvent une profonde fragilité émotionnelle.

Mais cette « pandémie » du narcissisme ne se limite pas à la sphère individuelle. C’est toute notre société qui se trouve impactée par cette glorification de l’individu roi. En banalisant les comportements égocentriques et la quête de reconnaissance à tout prix, les réseaux sociaux contribuent à ériger de nouvelles normes sociales centrées sur le culte de la personnalité. Une mutation profonde de nos valeurs collectives, où l’empathie et le sens du collectif cèdent peu à peu le pas à la promotion de soi et à la compétition permanente. De quoi engendrer toutes les dérives, du repli sur soi à la polarisation extrême des opinions.

 

Solutions et bonnes pratiques pour un usage responsable des réseaux sociaux

Face à cette dérive narcissique, il est urgent d’agir pour promouvoir un usage plus responsable et éthique des réseaux sociaux. Et cela passe d’abord par une prise de conscience individuelle des effets délétères de cette course effrénée aux likes. Plutôt que de chercher sans cesse l’approbation des autres, chacun gagnerait à cultiver son estime de soi loin des écrans. En se recentrant sur ses valeurs profondes et ses accomplissements réels, plutôt que sur une image artificiellement glorifiée.

Mais cette responsabilité est aussi collective. Aux plateformes de prendre leurs responsabilités, en mettant en place des garde-fous pour endiguer les dérives narcissiques. Algorithmes revus pour moins encourager la comparaison sociale, modération renforcée des comportements toxiques, mise en avant des contenus valorisant l’empathie et l’authenticité… Les leviers sont nombreux pour créer un environnement numérique plus sain.

L’éducation a également un rôle crucial à jouer. En sensibilisant dès le plus jeune âge aux enjeux du numérique, on peut espérer former des citoyens avertis, capables de prendre du recul face aux mirages du « toujours plus ». Des initiatives émergent en ce sens, à l’image de ces ateliers de « détox digitale » proposés dans certaines écoles pour apprendre aux élèves à déconstruire le culte de l’image et à cultiver des relations plus authentiques.

De leur côté, certains influenceurs prennent aussi leur part dans ce nécessaire retour à la réalité. En partageant les coulisses moins glamour de leur quotidien ou en dénonçant la toxicité de l’injonction à la perfection, ils contribuent à casser les codes d’un monde trop souvent artificiel. Un pas vers plus de transparence et d’honnêteté, indispensable pour endiguer le règne du paraître sur les réseaux.

 

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Vers une utilisation plus éthique des réseaux sociaux

Le syndrome du personnage principal et le narcissisme sur les réseaux sociaux nous confrontent à un véritable défi de société. Celui d’un monde hyperconnecté où la quête de reconnaissance tend à prendre le pas sur toute autre considération, au détriment de notre santé mentale et de nos liens sociaux. Face à cette dérive, une prise de conscience s’impose à tous les niveaux.

Des individus aux plateformes en passant par les pouvoirs publics, chacun doit prendre sa part pour promouvoir un usage plus responsable et éthique du numérique. Car c’est seulement en cultivant des valeurs d’empathie, d’authenticité et de partage que nous pourrons faire des réseaux sociaux de véritables outils d’épanouissement collectif, plutôt que des miroirs aux alouettes narcissiques.

Un défi immense, mais crucial pour construire une société où la technologie reste au service de l’humain, et non l’inverse. À nous tous de le relever, pour faire advenir un futur numérique placé sous le signe de la bienveillance et du respect mutuel. La clé d’un vivre-ensemble apaisé, où chacun pourra briller par sa singularité, sans pour autant éclipser celle des autres. Une utopie ? Non, une nécessité, pour ne pas laisser le culte du « moi » triomphant gangrener notre humanité essentielle.

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