Le combat pour la dépénalisation de l’avortement à Madagascar fait rage depuis des années. Dans cette île de l’océan Indien, l’IVG reste totalement interdite, y compris en cas de viol ou de danger pour la mère. Une législation draconiennes héritée du Code napoléonien qui pousse chaque année des milliers de femmes à se résoudre à des avortements clandestins au péril de leur vie. Un tabou profondément ancré dans les mentalités, nourri par des traditions rétrogrades et l’emprise des institutions religieuses. Un défi sociétal majeur pour faire prévaloir enfin le droit des femmes à disposer de leur corps.

 

Contexte légal et social face à la dépénalisation de l’avortement à Madagascar

La dépénalisation de l’avortement à Madagascar se heurte à un cadre juridique particulièrement répressif. Adoptée en 1962, après l’indépendance, la loi malgache sur l’IVG reste un héritage direct du Code pénal napoléonien de 1810. Une législation d’une autre époque qui criminalise totalement l’avortement, quelles que soient les circonstances. Même en cas de viol, d’inceste ou de risque avéré pour la santé de la mère, l’avortement demeure un acte illégal passible de lourdes peines de prison allant de 6 mois à 10 ans pour les femmes comme pour les praticiens.

Les conséquences de cette prohibition sont dramatiques pour les Malgaches. Selon les dernières données, plus de 4 femmes sur 10 connaissent une grossesse non désirée. Dans l’impossibilité d’avorter légalement, des milliers n’ont d’autre choix que de se tourner vers des avortements clandestins pratiqués dans des conditions d’hygiène déplorables. Résultat : Madagascar figure parmi les pays au taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde, avec 3 décès quotidiens liés à des complications post-avortement selon l’organisation Marie Stopes. Un véritable fléau sanitaire et social.

 

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Mentalités archaïques et influence des institutions religieuses

Au-delà des aspects légaux, la dépénalisation de l’IVG se heurte surtout à un mur des mentalités à Madagascar. Dans cette société insulaire très traditionnelle, l’avortement reste un tabou majeur, voire un sacrilège pour certains. Le poids des croyances ancestrales et du concept de « Aina », ce souffle de vie à transmettre, attise de vives résistances culturelles. Des réflexes rétrogrades ancrés depuis des générations qui font de l’avortement un sujet quasi-intouchable.

Pire, ces mentalités archaïques sont activement entretenues par la mainmise des institutions religieuses. L’Église catholique (EKAR) et les Églises protestantes réformées (FJKM), influentes à tous les niveaux, se font les chantres de cette opposition farouche à la dépénalisation de l’avortement à Madagascar. Un dogmatisme masculin qui dénie aux femmes le droit élémentaire de disposer de leur corps, au nom de considérations morales dépassées. Un obscurantisme patriarcal insidieux qui assouvit son emprise en instrumentalisant les carcans culturels.

 

Témoignages poignants et réalités des avortements clandestins

Derrière les chiffres se cachent des vies brisées. Le récit d’Anja et Annie, deux jeunes femmes de la capitale, en témoigne crûment. Contrainte de se prostituer pour réunir les 50 000 ariary (10 euros) d’un avortement clandestin pendant le confinement, Anja replonge dans son cauchemar : « Le docteur a curetté mon utérus à la main pour être sûr que le bébé était parti. » Des mots d’une violence crue pour évoquer la terrible réalité des IVG illégales.

Son aînée, Annie, n’a pas été épargnée : « On m’a inséré une aiguille dans le vagin, ça m’a fait extrêmement mal. » Des expériences traumatisantes qui les hantent encore, comme des milliers d’autres Malgaches contraintes d’avorter clandestinement.

Outre la souffrance psychique, ces avortements à l’arrache exposent à d’immenses dangers sanitaires. Hémorragies, septicémies, perforations d’organes… les conséquences peuvent être dévastatrices, voire mortelles. Marie Stopes estime qu’environ 3 femmes décèdent chaque jour à Madagascar des suites de ces avortements clandestins bâclés.

Au-delà des dommages physiques, c’est l’impact social qui peut être ravageur. Familles brisées, vies gâchées, les femmes ayant avorté illégalement restent marquées au fer rouge par l’opprobre et la stigmatisation. Un calvaire indigne qu’aucune ne devrait avoir à subir.

 

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A quand la dépénalisation de l’avortement à Madagascar ?

Face à ces drames humains, la nécessité de légaliser l’IVG dans certaines circonstances apparaît plus que jamais indispensable. Une simple mesure de santé publique et de respect des droits humains fondamentaux.

Dans les cas de viol, d’inceste ou de danger avéré pour la mère, forcer une femme à poursuivre une grossesse contre son gré relève de la maltraitance caractérisée. Au-delà d’un délai de 12 à 14 semaines, les dénis de l’avortement légal s’apparentent à une privation de liberté.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon l’OMS, les pays autorisant l’avortement sur demande affichent des taux de mortalité maternelle environ 40% inférieurs à ceux des pays l’interdisant totalement, comme Madagascar actuellement.

Des exemples comme ceux de l’Afrique du Sud ou du Burkina Faso, où la légalisation a permis de réduire drastiquement la mortalité liée aux avortements clandestins, montrent la voie. La dépénalisation n’est pas une option mais bien un impératif sanitaire et éthique.

 

Initiatives et mouvements pour la réforme législative

À Madagascar, la lutte pour faire évoluer les lignes s’organise autour de la coalition citoyenne Nifin’Akanga. Créée en 2019, cette plateforme réunit militantes féministes, journalistes et personnels médicaux autour d’un objectif : faire aboutir la dépénalisation de l’IVG tout en luttant contre les violences de genre.

Pour appuyer leur plaidoyer, ces activistes produisent des études massives sur les réalités de l’avortement dans l’île, comme la plus vaste enquête nationale jamais menée en 2021. Elles n’hésitent pas non plus à choquer les esprits avec des productions militantes choc, telle cette exposition sur l’IVG thérapeutique déployée dans 7 régions.

Malgré ces efforts, le chemin vers la réforme législative reste un parcours semé d’embûches. En 2021, leur proposition de loi visant à légaliser l’avortement dans les cas de viol, d’inceste et de danger pour la mère s’est heurtée à un mur parlementaire. Face aux réactions outrées des chefs religieux, le président de l’Assemblée nationale l’a écartée au motif d’être « incompatible avec la culture malgache ».

Un revers de plus qui a obligé les militantes à redoubler d’ardeur. Mais c’est un combat de longue haleine qui, portées par un vent de changement sociétal, finira par payer.

 

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Les actions pour soutenir les militantes et promouvoir le changement

Faire avancer la cause de la dépénalisation n’est pas un combat de tout repos. C’est pourquoi Nifin’Akanga a mis sur pied des « camps d’entraide » dédiés au bien-être de ses troupes en première ligne. Dans ces parenthèses régénératrices, les activistes peuvent souffler, partager leurs épreuves et se ressourcer ensemble, loin des tentacules étouffants des traditions.

Au programme ? Activités pour retrouver sérénité et énergie : séances de yoga, méditations, randonnées… Mais aussi des temps d’échanges précieux entre femmes de conviction, pour se remémorer que leur combat n’a rien de vain. « Quand on partage les histoires d’autres personnes, ça nous rappelle qu’on mène le bon combat », témoigne la fondatrice.

Car le chemin est encore long avant que l’île ne se défasse des carcans obscurantistes. Pour y arriver, il faudra déployer une stratégie multifronts : sensibilisation du grand public via une campagne d’éducation populaire, mobilisation des ambassadeurs médicaux pour remporter l’adhésion des soignants, et lobbying incessant auprès des sphères politiques.

Le nerf de la guerre ? Capitaliser sur le vent de changement sociétal qui souffle sur la jeunesse malgache, déterminée à conquérir son indépendance corporelle. Une évolution en marche, que les partenaires internationaux se doivent d’accompagner sans réserve pour faire plier le mur des archaïsmes.

 

Le glas des obscurantismes

À l’issue de ce tour d’horizon, une évidence persiste : rien ne saurait justifier que Madagascar maintienne un statu quo aussi rétrograde et meurtrier sur la question de l’IVG. Puissent les nouveaux remparts érigés par Nifin’Akanga et ses alliés finir par faire tomber les derniers bastions de l’obscurantisme patriarcal.

L’heure est venue pour la Grande Île de se défaire des œillères des siècles passés. En rejoignant le concert des nations protectrices du droit des femmes à disposer de leur corps, Madagascar ouvrira la voie vers un avenir d’émancipation et de progrès. Et fera taire, une bonne fois pour toutes, les cloches de la barbarie.

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