Le 8 juin 2024 prochain, les planches du Florida Palace de Marseille vibreront aux accents enflammés de la « Reine du Salegy ». Une trentaine d’artistes s’uniront ce soir-là pour un hommage empli d’émotions à Ninie Doniah, disparue à 56 ans le 19 novembre 2023 dernier. Bien plus qu’un simple concert, cet événement orchestré par la diaspora malgache en France célébrera l’incroyable legs d’une voix dissidente. Celle d’une femme qui aura bravé tous les interdits pour insuffler un vent de révolte dans la Grande Île.
Une voix dissonante qui dérangeait
Car de cette chanteuse au timbre mélodieux, Ninie Doniah avait aussi fait une arme au service de la contestation. Ses paroles, crues et sans concession, dénonçaient avec force les injustices, la corruption et l’oppression que subissaient femmes et communautés marginalisées dans son pays.
Des textes empreints d’un féminisme ardent, d’une soif de liberté incandescente, qui faisaient rapidement d’elle une épine dans le pied du pouvoir. Sur scène comme sur les réseaux sociaux, la « Reine » ne mâchait jamais ses mots, quitte à froisser les oreilles les plus délicates.
Ses prises de position sans demi-mesure ont ainsi très vite fait des vagues jusqu’aux plus hautes sphères. Preuve que cette fille de Nosy Be touchait un nerf à vif, au point d’agacer les puissants par sa franchise débridée. Son verbe était devenu une véritable menace pour le système en place…
Lutte contre l’accaparement des terres et un système mafieux
Mais ce qui avait véritablement mis le feu aux poudres, c’était l’inflexible combat de Ninie Doniah contre l’accaparement des terres dans son île natale de Nosy Be. Un raz-de-marée d’appétits voraces menés par une certaine élite malgache de connivence avec des investisseurs étrangers.
Un scandale immobilier qu’elle n’avait eu de cesse de dénoncer, au risque de s’attirer les foudres d’un véritable système mafieux. Un réseau tentaculaire aux racines profondes, dont le chef – « celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom » – n’est rien de moins que celui qui tire les ficelles du pouvoir.
Son entêtement à braquer les projecteurs sur ces affaires de marchands de sable lui valut d’être perçue comme l’ennemie publique numéro un par ces rapaces en puissance. Mais la « Reine » du Salegy ne recula jamais, quitte à se sacrifier.
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Un emprisonnement contestable et un silence imposé
Ses prises de position enflammées finirent par lui coûter une lourde condamnation pour « atteinte à la sûreté de l’État et trouble à l’ordre public ». Un verdict contestable de 18 mois de prison ferme, après une année de bataille judiciaire acharnée.
Eliane Bezara Virginie, alias Ninie Doniah, s’est vue infliger cette peine au terme d’un procès fleuve. Elle avait été arrêtée 11 mois plus tôt pour incitation à l’émeute après avoir tenté d’empêcher un accaparement de terrain à Nosy Be.
Durant sa détention, la dégradation alarmante de son état de santé ne suffit pas à attendrir ses geôliers. Au contraire, ce fut l’impression tenace d’un silence imposé à celle qui dérangeait tant les puissants. Un musellement qui ne prit fin qu’avec son dernier souffle, le 19 novembre dernier, à 56 ans.
Un héritage vivant et une lutte poursuivie
Pourtant, malgré les tentatives désespérées pour la faire taire, la voix de Ninie Doniah continue aujourd’hui de résonner. Son message de révolte, de liberté et d’émancipation a fait des émules. Autant d’étincelles jetées dans la plaine, qui attisent la flamme d’une lutte pour plus de justice sociale et de respect des droits humains à Madagascar.
De Nosy Be aux capitales mondiales, la « Reine » est désormais une icône fêtée à la hauteur de son insoumission. Ses chansons devenues des hymnes repris en chœur, ses actes érigés en exemples admirés par toute une jeunesse avide de changement.
La légende d’une femme qui, sa vie durant, n’aura eu de cesse de bousculer les puissants a largement dépassé le cadre insulaire. Ninie Doniah incarne aujourd’hui l’espoir palpitant d’un nouveau souffle, pour Madagascar comme pour tous les opprimés.
Une flamme de combat qui ne s’éteint pas
Au final, Ninie Doniah aura été bien plus qu’une simple artiste engagée : une véritable combattante acharnée, qui aura donné corps et voix à toute une révolte. Celle d’un peuple qui ne veut plus se taire face aux abus des puissants et aux dérives mafieuses qui gangrènent la nation.
Son emprisonnement tragique n’est que l’ultime preuve du danger que représentaient ses dénonciations sans concession. Mais plutôt que de l’éteindre, ce dernier affront n’a fait que raviver la flamme de sa dissidence. Que son âme repose en paix.