Lorsqu’une institution aussi respectée que la Bertelsmann Foundation classe un pays comme une « autocratie modérée », l’alarme retentit. C’est pourtant le sévère constat dressé par cette organisation allemande à l’égard de Madagascar dans son Transformation Index 2024. Un diagnostic préoccupant, qui fait écho aux nombreux rapports dénonçant les dérives autoritaires et les atteintes aux droits fondamentaux perpétrées par le régime de l’Île Rouge. Entre institutions démocratiques défaillantes, forces de l’ordre incontrôlées, système judiciaire partial et corruption endémique, la Grande Île semble s’enfoncer un peu plus dans les affres du despotisme.
Des institutions démocratiques défaillantes selon Bertelsmann
Dans son analyse, la Bertelsmann Foundation épingle sévèrement le manque d’indépendance des contre-pouvoirs à Madagascar. Selon l’étude, « la personnalisation du pouvoir par les présidents successifs a sapé les contre-pouvoirs et affecté le fonctionnement, la transparence et l’indépendance d’autres institutions ». Une mainmise de l’exécutif qui minerait la crédibilité du Parlement et de la justice, désormais considérés comme de simples chambres d’enregistrement.
L’ONG pointe également du doigt les atteintes répétées aux libertés fondamentales, avec « des restrictions à la liberté de la presse, de réunion et d’expression » qui se seraient même accentuées ces dernières années. Un constat alarmant, qui fait planer de lourdes menaces sur l’avenir démocratique de la Grande Île, régulièrement secouée par des crises politiques à répétition.
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Des forces de l’ordre à la dérive et des arrestations arbitraires
Outre les carences institutionnelles, c’est l’usage disproportionné de la force par les agents de l’État qui alimente les préoccupations. Les rapports faisant état d’exécutions extrajudiciaires et de passages à tabac par les forces de l’ordre se multiplient à un rythme effrayant. Comme cette descente mortelle menée en juillet 2022 par la police au domicile d’un chef de village, qui avait coûté la vie à son fils.
Pire encore, les arrestations arbitraires d’opposants politiques, de manifestants ou de simples citoyens se banalisent. L’exemple de l’avocate Francesca Razafimahefa, appréhendée à la veille d’un rassemblement de l’opposition en février 2022, illustre à quel point le régime n’hésite pas à réprimer toute voix discordante par des motifs politiques inavoués.
Un système judiciaire déficient et partial
Hélas, les carences ne s’arrêtent pas aux institutions démocratiques et aux forces de l’ordre. Le rapport de Bertelsmann pointe également du doigt les graves défaillances du système judiciaire malgache. Un constat alarmant, quand on sait que l’indépendance de la justice est la pierre angulaire de tout État de droit.
Sur le terrain, les témoignages accablent : détentions provisoires à rallonge, refus injustifiés de libération sous caution, procès aux verdicts présumés arrangés… Autant d’entorses aux procédures qui nourrissent un sentiment d’impunité généralisée chez les plus puissants. Le cas d’Harry Laurent Rahajason, ancien ministre, emprisonné sur la base d’accusations politiques, illustre les dérives d’une machine judiciaire aux ordres du pouvoir. Loin d’être une exception, cette affaire emblématique souligne à quel point la séparation des pouvoirs n’est qu’un leurre à Madagascar.
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La corruption comme fléau rongeant l’État de droit
Mais le plus grand fléau qui mine les fondations de l’État de droit malgache a un nom : la corruption. Un cancer qui gangrène toutes les sphères du pouvoir, de la justice aux forces de l’ordre en passant par la haute administration. Les exemples ne manquent pas, à l’instar de cette récente affaire ayant contraint l’ex-ministre de la Justice à la démission en 2022.
Circonstance aggravante : le manque criant de moyens alloués à la lutte anti corruption. Comment s’attaquer efficacement à ce mal lorsque « dans la pratique, les ressources humaines et financières ne sont pas suffisantes », comme le déplore l’étude de Bertelsmann ? Un cercle vicieux qui entretient l’impunité et la défiance vis-à-vis des institutions.
Un pays à la croisée des chemins : réformer ou sombrer ?
Face à ce sombre constat, Madagascar se trouve à la croisée des chemins. Soit le régime actuel consent à des réformes de fond pour remettre le pays sur les rails de la démocratie et de l’État de droit. Soit il persiste dans la dérive autocratique dénoncée, au risque de s’enliser dans une crise durable.
Les signaux inquiétants se multiplient. À la Grande Île de choisir : renouer avec ses idéaux fondateurs en restaurant la crédibilité de ses institutions… Ou sombrer définitivement dans les affres de la dictature.