Le retrait progressif des banques françaises d’Afrique, qui fut jadis un marché stratégique pour elles, marque une inflexion significative dans la stratégie des grands groupes bancaires. Ce mouvement, récemment illustré par la cession de la Société Générale Madagasikara à la BRED Banque Populaire, soulève des questions sur les raisons profondes de ce désengagement et sur l’avenir du paysage bancaire africain. Quels sont les moteurs de ce repli ? Et qu’en est-il des perspectives pour le continent, longtemps perçu comme le prochain eldorado financier ?

 

Performances économiques décevantes : Un potentiel sous-estimé ou surestimé ?

Depuis la fin des années 2000, l’Afrique a été présentée comme le « continent d’avenir », avec des taux de croissance impressionnants et des perspectives prometteuses dans des secteurs clés tels que l’énergie, les télécommunications et les infrastructures. Les banques françaises, voyant là une opportunité de diversification et de rentabilité, ont massivement investi sur le continent. Cependant, les réalités économiques ont vite tempéré cet optimisme.

Les crises économiques successives, notamment le contre-choc pétrolier de 2014-2016, la pandémie de Covid-19, et plus récemment, les répercussions de la guerre en Ukraine, ont durement touché les économies africaines. Ces chocs ont provoqué une décélération de la croissance dans de nombreux pays, remettant en cause les projections initiales. La baisse des prix des matières premières a particulièrement affecté les pays dépendants de ces ressources, réduisant leur capacité à rembourser les dettes et à attirer de nouveaux investissements.

Dans ce contexte, les filiales africaines des banques françaises ont peiné à atteindre les objectifs de rentabilité fixés par leurs maisons mères. Les coûts d’exploitation élevés, combinés à une volatilité macroéconomique accrue, ont rendu difficile la réalisation des marges attendues. De plus, le manque d’infrastructures adéquates et l’instabilité politique dans certaines régions ont exacerbé ces difficultés, poussant les banques françaises à reconsidérer leur stratégie sur le continent.

 

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Risques de conformité : Un casse-tête réglementaire

Au-delà des défis économiques, les banques françaises se sont heurtées à des obstacles réglementaires et de conformité de plus en plus complexes. Avec l’intensification des régulations internationales, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et le financement du terrorisme (CFT), la gestion à distance de ces risques est devenue un véritable casse-tête pour les institutions bancaires.

En Afrique, où certains pays sont marqués par des économies informelles et une réglementation locale parfois laxiste, les banques françaises ont dû faire face à des risques de conformité élevés. Les régulateurs européens, soucieux de protéger l’intégrité du système financier, ont imposé des contrôles stricts et des sanctions sévères, obligeant les banques à renforcer leurs dispositifs de surveillance. Cependant, la gestion efficace de ces risques à des milliers de kilomètres de leur siège social s’est avérée coûteuse et complexe.

Ces contraintes ont conduit certaines banques à se retirer purement et simplement de certains marchés jugés trop risqués. À cela s’ajoute la nécessité de se conformer aux normes prudentielles internationales, telles que Bâle III, qui exigent une gestion rigoureuse des capitaux et des liquidités, augmentant ainsi les coûts de conformité pour les banques opérant en Afrique.

 

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Concurrence locale accrue : L’ascension des acteurs panafricains

Alors que les banques françaises réduisent leur présence en Afrique, des acteurs locaux et régionaux ont saisi l’opportunité pour renforcer leur position. Les banques marocaines, par exemple, ont adopté une stratégie agressive de conquête du marché africain. Des établissements comme Attijariwafa Bank, Bank of Africa, et Banque Centrale Populaire ont étendu leur réseau sur le continent, profitant du vide laissé par les groupes européens.

Les banques panafricaines, telles que Ecobank, sont également montées en puissance, devenant des acteurs incontournables du secteur financier africain. Ces banques, mieux ancrées dans le tissu économique local, disposent d’une connaissance approfondie du marché et sont perçues comme plus agiles et réactives face aux défis économiques et réglementaires.

Pour les banques françaises, cette concurrence accrue, combinée à une rentabilité incertaine et des risques élevés, a renforcé l’idée de se recentrer sur leurs marchés historiques, où les marges sont plus prévisibles et les contraintes réglementaires mieux maîtrisées.

 

Une restructuration stratégique en marche forcée

La décision de la Société Générale de céder ses filiales africaines s’inscrit dans une stratégie de recentrage sur ses activités les plus rentables. Sous l’impulsion de son nouveau directeur général, Slawomir Krupala, la banque a engagé un vaste plan de restructuration visant à améliorer sa rentabilité et à renforcer ses fonds propres.

Ce plan ne se limite pas à l’Afrique. La Société Générale a également annoncé la vente de ses filiales à l’étranger, notamment en Suisse et au Royaume-Uni, pour un montant de près de 900 millions d’euros. Ces cessions illustrent la volonté du groupe de rationaliser son portefeuille d’activités et de se concentrer sur les marchés où elle dispose d’un avantage concurrentiel.

À l’inverse, la BRED Banque Populaire, en rachetant la Société Générale Madagasikara, montre une volonté de se positionner sur un marché jugé porteur à long terme. Cette stratégie à contre-courant pourrait lui permettre de tirer profit d’un marché en croissance, où le taux de bancarisation est encore faible, mais en augmentation rapide.

 

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Un nouveau paysage bancaire en Afrique

Le retrait des banques françaises d’Afrique marque la fin d’une époque et ouvre la voie à un nouveau paysage bancaire dominé par des acteurs locaux et régionaux. Pour l’Afrique, ce désengagement pourrait être une opportunité de développer des institutions financières plus adaptées aux besoins locaux, moins dépendantes des capitaux étrangers.

Cependant, ce retrait pose aussi des questions sur l’avenir des relations économiques entre la France et l’Afrique, dans un contexte où le continent cherche à diversifier ses partenariats économiques. Le repositionnement stratégique des banques françaises pourrait leur permettre de mieux résister aux crises futures, mais au prix d’une perte d’influence sur un continent au potentiel encore largement inexploité.

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