Madagascar, cette île-continent de l’océan Indien, fascine autant qu’elle alarme. Avec une population qui frôle les 30 millions d’habitants en 2024, dont plus de 80% survivent avec moins de 2 dollars par jour, le pays se heurte à un défi de taille : concilier croissance démographique et développement économique. Une équation complexe qui soulève une question provocante : et si la solution résidait dans une politique de l’enfant unique, sur le modèle chinois ?
La spirale infernale : pauvreté et croissance démographique
Le constat est glaçant : à Madagascar, la pauvreté et la fécondité forment un duo infernal. Les ménages les plus précaires, souvent dépendants d’une agriculture de subsistance ou d’emplois informels, sont aussi ceux qui comptent le plus d’enfants. Un cercle vicieux qui se perpétue de génération en génération, les enfants issus de familles pauvres ayant eux-mêmes peu de chances de s’extraire de la précarité.
Cette corrélation entre pauvreté et fécondité n’est pas une fatalité, mais le fruit d’un enchevêtrement de facteurs socio-économiques. L’absence d’accès à l’éducation, notamment pour les filles, le manque d’information sur la contraception, la pression sociale valorisant les familles nombreuses… Autant de freins à une transition démographique pourtant essentielle au développement.
Car les conséquences de cette croissance effrénée sont désastreuses. Le taux de scolarisation chute dramatiquement après le primaire, les familles n’ayant pas les moyens d’offrir un parcours scolaire complet à tous leurs enfants. Le marché du travail, déjà exsangue, peine à absorber ces jeunes peu qualifiés. C’est toute la dynamique du pays qui s’en trouve grippée, le capital humain étant pourtant l’une des clés de la croissance à long terme.
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La tentation du contrôle des naissances
Face à ce sombre tableau, l’idée d’un contrôle strict des naissances, sur le modèle de la politique de l’enfant unique instaurée en Chine de 1979 à 2015, peut sembler séduisante. Après tout, en limitant drastiquement le nombre d’enfants par famille, Pékin a réussi à infléchir sa courbe démographique et à dégager des ressources pour investir dans l’éducation et la santé.
Certains économistes malgaches plaident ainsi pour une mesure similaire. Leur argument ? En réduisant la pression démographique, Madagascar pourrait concentrer ses maigres ressources sur un nombre restreint d’enfants, leur offrant ainsi de meilleures chances de s’en sortir. Un calcul froidement mathématique, mais qui se heurte à de nombreux écueils.
Car comment mettre en œuvre une telle politique dans un pays où l’État peine à asseoir son autorité ? Entre corruption endémique et moyens limités, le contrôle des naissances risquerait de rester lettre morte, voire de donner lieu à des dérives autoritaires. Sans parler de l’acceptabilité culturelle d’une telle mesure dans une société profondément attachée à la famille élargie…
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Les alternatives et compléments à une politique nataliste
Heureusement, d’autres leviers existent pour desserrer l’étau démographique sans sombrer dans la coercition. Le plus évident ? Miser sur l’éducation, en particulier celle des filles. Scolariser une fille, c’est lui donner les clés de son autonomie. C’est faire reculer l’âge du mariage et de la première grossesse. C’est semer les graines d’une transition démographique en douceur.
En parallèle, développer l’accès à la contraception et renforcer les campagnes de sensibilisation au planning familial sont des impératifs. Offrir aux femmes la possibilité de maîtriser leur fécondité, c’est leur permettre de faire des choix éclairés pour elles-mêmes et leurs familles. Un processus qui doit s’accompagner d’un changement des mentalités, pour que la famille peu nombreuse cesse d’être perçue comme un handicap social.
Mais attention, le planning familial ne saurait être l’alpha et l’oméga de la lutte contre la pauvreté. Pour être efficace, il doit s’inscrire dans une politique plus globale de protection sociale. Développer les filets de sécurité pour les familles précaires, investir dans la santé maternelle et infantile, soutenir les ménages monoparentaux… Autant de mesures qui, en sécurisant les familles, leur permettent d’envisager sereinement une descendance limitée.
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Les enjeux éthiques et sociétaux d’un contrôle des naissances
Au-delà de ces considérations pratiques, le débat sur une éventuelle politique de l’enfant unique soulève des questions éthiques profondes. Peut-on sacrifier la liberté individuelle au nom de l’intérêt collectif ? Est-il moralement acceptable d’imposer une norme reproductive, au risque de stigmatiser les familles qui s’en écartent ?
Certains opposants à cette idée agitent le spectre d’une dérive totalitaire. Et si, sous couvert de lutte contre la pauvreté, l’État s’arrogeait un droit de regard sur l’intimité de ses citoyens ? Si la politique de l’enfant unique devenait un instrument de contrôle social, ciblant en priorité les populations les plus marginalisées ?
Ces craintes sont légitimes. Elles rappellent que toute politique démographique doit être maniée avec d’infinies précautions. Que la ligne est ténue entre incitation et coercition, entre accompagnement et ingérence. Et que le risque est grand de voir une telle mesure exacerber les fractures d’une société déjà marquée par de profondes inégalités.
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Investir dans l’humain, la clé pour désamorcer la bombe démographique malgache
Au terme de cette réflexion, une certitude s’impose : il n’y a pas de solution miracle pour relever le défi démographique malgache. La politique de l’enfant unique, aussi tentante soit-elle sur le papier, n’est ni réaliste ni souhaitable dans le contexte de la Grande Île. Trop complexe à mettre en œuvre, trop lourde de risques éthiques et sociaux.
Pour autant, l’urgence est là. Chaque année, des centaines de milliers de petits Malgaches naissent dans la pauvreté, avec pour seule perspective un avenir bouché. Face à ce gâchis humain, l’inaction n’est plus une option.
C’est donc une approche holistique qu’il faut inventer, alliant planning familial volontaire et investissement massif dans le capital humain. Une politique audacieuse qui fasse de l’éducation, de la santé et de la protection sociale les piliers d’un nouveau contrat social. Un pari sur l’avenir qui, en libérant le potentiel de chaque enfant, permettra à Madagascar de capitaliser enfin sur sa plus grande richesse : sa jeunesse.