Madagascar, cette île dont le rougeoiement des sols lui vaut son surnom d’Ile Rouge, regorge de trésors naturels insoupçonnés. Des saphirs étincelants aux arômes capiteux de la vanille, en passant par les gisements de nickel et autres gemmes convoitées, cette terre semblait promise aux plus grands horizons de prospérité. Et pourtant, l’amère réalité économique d’aujourd’hui tend à contredire ce destin radieux : près des trois quarts des Malgaches survivent encore avec moins de deux dollars par jour selon la Banque Mondiale, faisant de leur pays l’un des plus pauvres au monde. Une « malédiction » qui perdure depuis l’indépendance malgré les ressources, et face à laquelle les habitants semblent terrassés par la résignation. Que s’est-il donc passé ?

 

Instabilité politique et crises socio-politiques répétées

Depuis qu’elle a recouvré sa souveraineté en 1960, Madagascar n’a en réalité cessé d’enchaîner les convulsions politiques et les crises sociales à répétition. Coup d’État, procédures d’empêchement, élections contestées et mouvements de protestation ont créé ce climat d’instabilité chronique si délétère pour l’activité économique et les investissements.

La période n’aura été qu’une succession de parenthèses de croissance prometteuses, systématiquement sabordées par les prochaines turbulences. Dans ce labyrinthe de discontinuités, tout horizon de développement pérenne s’est vite brouillé dans les affres d’une nouvelle transition chaotique. Une succession de faux départs et de retours en arrière qui a laissé le pays exsangue alors que s’amenuisaient ses maigres avances. Illustration parfaite de cette malédiction des richesses qui frappe l’île : les industriels des mines ont été les premiers à déserter ce champ de ruines à chaque nouvelle bourrasque…

 

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Corruption et gouvernance défaillante

Mais au cœur de cette instabilité chronique, c’est surtout une authentique « mafia d’État » qui semble régner, alimentant un cycle de corruption et de malversations sans fin. Les ambitions des Présidents se sont ainsi régulièrement fracassées sur cet écueil du pouvoir absolu et des dérives népotistes.

Les scandales ont succédé aux scandales, les détournements de fonds aux trafics en tout genre, tandis que l’économie s’enfonçait inexorablement dans les abysses du chaos. Une spirale descendante qui n’a d’égale que l’indifférence de ces élites aux délices des privilèges, aveugles aux souffrances de leurs concitoyens ordinaires.

Car cette « mafia » n’a d’yeux que pour ses intérêts personnels et le pillage éhonté des ressources du peuple. Un système pérennisé de mainmise, savamment huilé où l’unique préoccupation semble être de préserver des prébendes indues au sommet. Que cette vacuité morale perdure et Madagascar verra ses plus belles promesses se muer en mirages définitifs…

 

Inégalités sociales et système de castes

Et si, au fond, le mal qui ronge si durablement Madagascar ne se nichait pas avant tout dans ces antiques structures sociales ? Imaginez un royaume moyenâgeux où la hiérarchie immuable des castes régirait encore les moindres faits et gestes. Telle pourrait être la clé de cette énigme insulaire : une pyramide rigide dont la base, le peuple, demeure inexorablement condamnée à l’immobilisme pendant que le sommet maintient ses privilèges séculaires.

« Ici, la pauvreté est perçue comme une fatalité divine par nos élites ! On ne sort tout simplement pas de sa condition, alors autant s’y résigner » nous glisse un universitaire de la capitale. Des propos qui en disent long sur cette conception archaïque où le sort des plus humbles ne saurait être qu’immuable. Un conservatisme mortifère qui bride toute initiative et condamne les Malgaches à la résignation.

Mais le pire dans ce schéma implacable demeure cette mainmise des castes dominantes sur l’économie, légitimée par des siècles d’habitudes. Que ce soit dans le négoce ou l’exploitation des richesses naturelles, cette élite perpétue son monopole sur un mode quasi-féodal hérité du temps des royaumes. Une situation qui fige le développement dans ses ornières !

 

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Vulnérabilité aux risques climatiques

Pourtant, si la fatalité semble une croyance tenace chez ces élites obtuses, elle a pris ces dernières années un visage bien cruel pour les Malgaches ordinaires. Celui des cataclysmes naturels à répétition qui viennent défier leurs plus humbles tentatives de survie !

Avec en tête d’affiche cette funeste sécheresse de 2021 qui a plongé le Sud de l’île dans une famine d’une ampleur inédite. Des milliers de victimes supplémentaires, privées d’eau et de récoltes vitales, désormais exposées aux pires carences. Un choc immense, à la mesure du manque de préparation des autorités pour y faire face. Une fois encore, l’appel à l’aide internationale fut la seule réponse…

Mais au-delà de ce cataclysme majeur, ce sont tous azimuts que les risques climatiques se déchaînent avec une force redoublée ces dernières années sur Madagascar. Des cyclones dévastateurs aux inondations meurtrières en passant par ces sécheresses chroniques, tout semble s’être ligué contre ce peuple si fragile, condamné à la résilience permanente. Un cercle vicieux qui l’enfonce toujours plus avant dans la résignation

 

Absence de développement des infrastructures

Ceci dit, ce ne sont pas les seuls éléments naturels qui conspirent contre l’essor de Madagascar. L’Homme y a bien sa part de responsabilité, à commencer par le sempiternel déni d’infrastructures adéquates à même de désenclaver l’île.

« Regardez les routes par exemple, lâche ce chauffeur de taxi avec un geste de découragement vers les nids-de-poule qui lui barrent la route. Un véritable chemin de croix à chaque trajet ! Les marchandises n’arrivent jamais à temps, quand elles ne sont pas tout simplement perdues ou abîmées en cours de route. » Un jugement sans appel qui en dit long sur les défis logistiques colossaux qui freinent toute velléité de commerce à l’échelle du pays.

Comment alors développer la moindre filière d’exportation, faire circuler les biens ? Une aberration que d’avoir ainsi délaissé les transports au profit d’investissements toujours différés, condamnant les campagnes et les villes à la même pénurie de développement. Le couperet final étant cette inaccessibilité aux services essentiels pour des millions de Malgaches : santé, éducation, électricité… Tous ces verrous fatals à lever pour espérer enfin décoller !

 

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Prévalence de l’économie informelle

Étouffé sous les carences de l’État, le génie des Malgaches a cependant fini par s’exprimer… d’une tout autre manière ! Face à l’absence de développement formel et aux innombrables obstacles bureaucratiques à l’entrepreneuriat, c’est l’économie informelle qui s’est progressivement imposée comme la véritable bouée de sauvetage pour des millions de citoyens.

Une lutte quotidienne pour survivre qui emprunte mille et un canaux de débrouillardise insoupçonnés. Là, c’est un audacieux qui vous revendra des crédits de communication prépayés au coin d’une rue animée. Ici, un malin qui vous offrira ses services de mécanicien de l’ombre pour quelques ariary symboliques. Partout, ces anonymous du secteur informel qui ont fait de la résilience pragmatique une véritable philosophie de vie !

Un véritable patchwork de combines qui permet à des foyers entiers de tenir le coup. Mais un pis-aller économique dont le coût se révèle aujourd’hui bien élevé pour Madagascar. Car en se soustrayant à tout contrôle fiscal, cette gigantesque sphère souterraine prive les caisses de l’État de précieuses rentrées financières… Celles-là mêmes qui permettraient de bâtir ces infrastructures de développement tant attendues !

 

Résignation et perceptions culturelles

Mais alors, comment expliquer que le peuple malgache reste si stoïque, voire résigné, face à tous ces vents contraires ? Le secret se terre sans doute dans ces racines culturelles insulaires si profondément ancrées. Un héritage ancestral fait de croyances tenaces et de pesanteurs séculaires qui façonnent bien des esprits.

« Ici, tu comprends, la pauvreté est perçue comme une fatalité par beaucoup. Une malédiction que nos ancêtres auraient peut-être attirée sur nous par je ne sais quel péché » nous confie cet agriculteur des Hautes Terres dans un sourire désabusé. Une forme de karma implacable contre lequel il serait vain de se battre…

Difficile, il est vrai, de s’extraire seul d’une telle chape de plomb spirituelle, surtout lorsque le niveau d’éducation se révèle lui-même si limité. À quoi bon remuer ciel et terre pour améliorer son sort, quand la perspective d’une vie future plus clémente sera de toute façon la seule récompense espérée ? Une désillusion amère, amplifiée par la désinformation et le manque d’accès à l’instruction, qui bride toute velléité de changement ou de mobilisation contre la corruption et la mauvaise gouvernance

 

Le réveil de l’île Rouge : Et si les Malgaches brisaient enfin la malédiction ?

Au final, l’histoire de Madagascar s’avère d’une complexité déconcertante, où se mêlent indéfectiblement espoirs et désillusions dans un magma d’apparente résignation. Une île certes gâtée par la nature, mais désastreusement appauvrie par l’incurie politique, la chape de plomb culturelle du fatalisme et le joug implacable du mauvais temps.

Faudra-t-il pour autant abandonner tout espoir de voir un jour cette société insulaire briser ses chaînes séculaires ? Laissera-t-on le peuple malgache accepter indéfiniment son sort sans jamais relever la tête ? Ce serait une tragédie de plus, alors que justement lui seul détient la clé pour défier les forces d’inertie en réalisant enfin son immense potentiel.

Des infrastructures dignes de ce nom, une véritable éducation, une gouvernance honnête et une société apaisée dans sa diversité : autant de progrès que les Malgaches auront à arracher de leurs propres mains s’ils ne veulent pas voir leur île continuer de s’enfoncer. Une lutte contre les vents et marées qui s’annonce ardue, mais quelle plus belle victoire que de redonner à ce joyau de l’océan Indien sa pleine souveraineté économique ?

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