La laïcité, pierre angulaire des États modernes, repose sur une séparation claire entre les sphères publique et religieuse. Plus qu’un simple concept, elle garantit la liberté de conscience et l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de croyance. Un rempart contre les dérives communautaristes menaçant la cohésion nationale. Pourtant, à Madagascar, ce principe fondamental semble remis en cause de manière récurrente et ostentatoire par le pouvoir en place. En témoigne l’organisation systématique, avant chaque fête de l’Indépendance, d’un méga concert évangélique béni par les plus hautes autorités étatiques. Une célébration religieuse d’envergure qui soulève d’insistantes interrogations sur le respect effectif de la neutralité constitutionnelle.

 

Le méga concert évangélique : quand la religion s’immisce dans la chose publique

Quelques jours avant la glorieuse date du 26 juin, c’est le même rituel qui se répète année après année à Madagascar. Le Stade Barea de Mahamasina est le théâtre d’un immense rassemblement évangélique baptisé « Antsam-piderana ho an’ny Firenena ». Une véritable démonstration de ferveur chrétienne avec, comme temps fort, un méga concert diffusé en direct sur les chaînes nationales.

Durant des heures d’affilée, les plus grandes stars autochtones du gospel et de la « louange » se succèdent sur scène, rejointes par des vedettes internationales spécialement invitées et payées pour l’occasion. Le tout dans une ambiance digne des plus importants rassemblements fébriles, où la population est ouvertement conviée à prier pour la prospérité du pays. Un caractère indéniablement religieux revendiqué jusque dans les discours des officiels présents.

 

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Un défi de taille pour la laïcité : La diversité spirituelle malgache

Au-delà de cette intrusion manifeste du fait religieux dans les célébrations « nationales », la dimension exclusivement chrétienne du méga concert pose question. Et pour cause, l’affirmation selon laquelle Madagascar serait un « firenena kristianina » (pays chrétien), dont à majorité chrétienne reste à démontrer. Dans les faits, la Grande Île abrite une mosaïque de confessions et de traditions spirituelles dont il faut tenir compte.

Aux côtés des chrétiens, qu’ils soient catholiques ou protestants, cohabitent en effet de nombreux fidèles de l’Islam, du Bouddhisme et des cultes hindouistes. Mais surtout, une importante frange de la population demeure attachée aux religions ancestrales animistes, vouant un culte aux ancêtres et aux forces de la nature. Sans oublier les athées et libres-penseurs, eux aussi en quête de reconnaissance.

Organiser un événement religieux d’envergure aussi monolithique revient ainsi à nier l’existence de cette réalité plurielle, au mépris du principe d’inclusion et de représentation équitable de la Nation dans toute sa diversité.

 

L’ombre d’une manipulation populiste à des fins politiques

Mais alors, si la laïcité semble si manifestement bafouée, quelles peuvent bien être les motivations réelles des autorités derrière ce méga concert ? Une hypothèse pointe son insidieux museau : celui d’une récupération politico-religieuse visant à capter les faveurs populaires. La religion ferait ainsi office d’outil de manipulation des masses, d’opium détournant les foules de leurs réelles préoccupations quotidiennes.

Ce gigantesque rassemblement de ferveur chrétienne se retrouve en effet systématiquement relayé sur les médias d’État et la mouvance progouvernementale. Un formidable outil de communication pour qui saurait en jouer. Qui plus est auprès des franges les plus modestes et défavorisées de la population, particulièrement réceptives à ce type d’événement émotionnel.

Voilà peut-être l’aveu d’une dérive populiste, où le vernis religieux sert à camoufler de tout autres visées moins avouables. Loin du respect sincère de la laïcité, cette célébration pourrait bien n’être qu’un instrument politique déguisé.

 

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Sauver la laïcité, gage de progrès et d’unité nationale

Au final, le méga concert évangélique, Antsam-piderana ho an’ny Firenena, parrainé par les autorités malgaches chaque année illustre de manière criante les dérives du pouvoir vis-à-vis du principe de neutralité religieuse de l’État. Une ligne de conduite qui peine à respecter l’égalité constitutionnelle de tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances ou leur libre-pensée.

Plutôt que d’encourager ces immenses rassemblements religieux porteurs de divisions, les dirigeants malgaches auraient tout à gagner à promouvoir des célébrations de l’Indépendance véritablement laïques, inclusives et fédératrices. Un symbole de respect de la diversité spirituelle retrouvée, loin des tentations populistes et des instrumentalisations politico-religieuses.

Réaffirmer la laïcité avec fermeté, voilà sans doute la condition sine qua non pour faire progresser la Nation sur la voie de la modernité et de l’unité retrouvée. Une lumière à brandir bien haut pour quitter définitivement les ombres de l’obscurantisme.

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